
Majeur protégé placé en garde à vue : inconstitutionnalité de l’absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur
Dans un arrêt du 19 juin 2018, la chambre criminelle de la Cour de Cassation renvoyait au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 706-113 du code de procédure pénale et l’absence d’obligation faite au procureur de la République ou au juge d’instruction d’aviser le tuteur ou le curateur, ainsi que le juge des tutelles, en cas de placement en garde à vue d’un majeur protégé. La QPC était ainsi énoncée :
« L’article 706-113 du code de procédure pénale, en ce qu’il limite l’obligation faite au procureur de la République ou au juge d’instruction d’aviser le tuteur ou le curateur ainsi que le juge des tutelles à la seule hypothèse de l’engagement de poursuites à l’encontre de la personne protégée, sans étendre cette obligation au placement d’une personne protégée en garde à vue, méconnaît-il les droits et libertés constitutionnellement garantis, et plus particulièrement l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ».
Le requérant reprochait à ces dispositions de méconnaître les droits de la défense en ce qu’elles ne s’appliquaient pas à la garde à vue. La personne protégée ne disposant pas toujours du discernement nécessaire à l’exercice de ses droits, l’absence de cette garantie ne pouvait, selon lui, être suppléée, lors de son placement en garde à vue, par la seule notification de son droit de faire prévenir son curateur ou son tuteur.
Pour rappel : En application de l’article 706-113 du CPP, lorsque des poursuites pénales sont engagées à l’encontre d’un majeur protégé, le procureur de la République ou le juge d’instruction doit en informer son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles. Il en va de même lorsque le majeur protégé fait l’objet d’une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d’une composition pénale ou d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou lorsqu’il est entendu comme témoin assisté. Le curateur ou le tuteur est alors autorisé à prendre connaissance des pièces de la procédure et bénéficie de plusieurs prérogatives visant à lui permettre d’assurer la préservation des droits du majeur protégé. Or, ces dispositions ne s’appliquent pas à la garde à vue.
Dans une décision du 14 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale, en ce qu’il n’impose pas aux autorités policières ou judiciaires d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue : "Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d'une personne font apparaître qu'elle fait l'objet d'une mesure de protection juridique, que l'officier de police judiciaire ou l'autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d'avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense".
Le Conseil a souligné l’insuffisance des garanties apportées par la loi au bénéfice du majeur protégé : " dans le cas où il n’a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations".
La date de l’abrogation de l’alinéa 1er de l’article 706-113 du CPP est différée au 1er octobre 2019. Il appartiendra donc au Parlement d’indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée des dispositions contestées.
Dans la décision n° 2018-730 QPC commentée, il est relevé que :
- En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait notamment pour effet de supprimer l’obligation pour le procureur de la République et le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, en cas de poursuites pénales à l’encontre d’un majeur protégé. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives.
- Il est précisé que, si en faisant en sorte que le MJPM puisse être informé de la mesure de garde à vue et ainsi assister le majeur protégé en proposant, le cas échéant, la désignation d’un avocat, « le Conseil constitutionnel n’a pas non plus considéré que l’assistance par un avocat du majeur protégé était obligatoire en garde à vue, ni que le tuteur ou le curateur devait pouvoir imposer une telle assistance au gardé à vue. » Les termes retenus par le Conseil constitutionnel dans sa décision montrent qu’il n’a pas, pour autant, entendu faire de l’obligation d’avertir le représentant du majeur protégé un impératif absolu pour les enquêteurs. A fortiori, le Conseil constitutionnel n’a pas non plus considéré que l’assistance par un avocat du majeur protégé était obligatoire en garde à vue, ni que le tuteur ou le curateur devait pouvoir imposer une telle assistance au gardé à vue.
Ainsi, il appartiendra au législateur de préciser :
- La teneur de cette obligation pour le procureur de la République et le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur en cas de garde à vue, en particulier quant à l’ampleur des démarches leur incombant pour rechercher si la personne fait l’objet d’une mesure de protection,
- Les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à cette obligation de prévenir le curateur ou le tuteur, afin de tenir compte des exigences liées aux nécessités de l’enquête ou d’autres circonstances particulières,
- Dans quelle mesure les futures règles applicables à la garde à vue des majeurs sous curatelle ou tutelle peuvent être étendues à d’autres catégories de majeurs protégés.
Sources : https://www.conseil-constitutionnel.fr/
→ Lire la Décision du Conseil Constitutionnel n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018 :
